re:discover

Nous sommes très heureux de pouvoir présenter un tout nouveau format en 2024, qui s'appuie en même temps sur les points forts particuliers d'art KARLSRUHE : les colonnes de promotion re:discover.

En collaboration avec le Bundesverband Deutscher Galerien und Kunsthändler e.V. (BVDG) et avec le soutien de la déléguée du gouvernement fédéral à la culture et aux médias (BKM), art KARLSRUHE souhaite rendre visibles sur le marché de l'art des artistes qui, à tort et malgré la grande qualité artistique de leur œuvre, ne retiennent pas notre attention actuellement.

Dans le cadre de ce programme d'encouragement, 20 galeries jurées présenteront chacune une position artistique. Des questions sur l'importance du travail des artistes visuels pour le présent et dans le contexte historique seront soulevées. Parallèlement, re:discover aborde de manière contemporaine les thèmes de l'héritage, de la succession, de l'œuvre de vieillesse et des mécanismes du marché de l'art.

Soutenu par :

Portrait Kristian Jarmuschek, Président du conseil

Avec cette section nouvellement créée, nous souhaitons accroître de manière particulière les qualités d'art KARLSRUHE et établir un format unique en son genre sur les foires d'art.


Kristian Jarmuschek, Président du conseil

re:discover artistes 2024 (auteur : Karlheinz Schmid)

À la fin des années 1960, Peter Benkert, né en 1942, fut promu « élève-maître » par Fred Thieler, peintre de l’art informel. Il est donc surprenant qu’il s’affiliât par la suite au groupe Konkrete Fraktion. Benkert définit lui-même ses œuvres comme des « constructions irréelles » et de l’« abstraction géométrique hard-edge ». Ses successions de bâtons de couleurs et ses « sondes spatiales » génèrent un univers où l’ordre strict côtoie la désinvolture. Dans un monde à la dérive et face aux dangers qui en émanent, l’artiste accepte pleinement le caractère menaçant de ces œuvres à rapprocher du Constructivisme.

Ayant dans sa jeunesse été à l’origine, avec Markus Lüpertz et Karl Horst Hödicke, de la légendaire galerie berlinoise Grossgörschen 35, Peter Benkert est toujours resté fidèle au style qu’il développa à cette époque. L’installation Luschen créée il y a une soixantaine d’années, de même que les Sondes réalisées depuis le début du XXIe siècle, se distinguent par un agencement rigoureux de l’espace qui, néanmoins, accorde toujours une place à des diversions plus ou moins caustiques. Quant à ses tableaux à l’acrylique sur toile ou à la laque automobile sur panneau d’aggloméré, ils démontrent selon lui que « ce qui semble fondamentalement incompatible témoigne au fond d’une certaine continuité », évidente lorsqu’on prend le soin de considérer les choses avec attention.

Bien que ses œuvres aient été présentées dans de nombreuses expositions et que certaines aient intégré des collections prestigieuses telle que la Mercedes-Benz Art Collection, Benkert reste un artiste qui n’a pas encore rencontré le succès qu’il mérite. C’est probablement dû au fait qu’il ne cherche pas forcément à plaire, mais vise plutôt à exprimer une certaine vérité intérieure. Avec pour résultat qu’il n’a encore jamais vécu de son art et qu’il travaille depuis des décennies comme enseignant et bibliothécaire. Ce qui l’a conduit à déclarer : « Il ne fait aucun doute que les ruptures et rejets qui ont émaillé ma vie trouvent leur origine dans les paradoxes inhérents à mes tableaux ».

Qu’il s’agisse des femmes figurées sur les pastels Wartende (2007) et Café (2000), de la prostituée de Strassenstrich (1990) ou de la fête foraine déserte de Rummelplatz (1990 également), les œuvres figuratives et presque expressionnistes de Herta Günther génèrent souvent une impression de mélancolie. La vie et l’arrière plan de la production de cette peintre et dessinatrice née à Dresde en 1934 et morte en 2018 dans sa ville natale témoignent de fait d’une certaine tristesse qui, loin d’être repoussante, suscite notre curiosité car le quotidien, avec toute sa banalité, prend ainsi un aspect mystérieux et quelque peu déroutant.

Les portraits et paysages urbains de Herta Günther rappellent distinctement l’œuvre d’artistes tels qu’Otto Dix, George Grosz et Christian Schad. On y retrouve la même volonté de s’approcher au plus près du sujet représenté. Ayant étudié la peinture à Dresde au début des années 1950, notamment auprès de Hans Theo Richter, s’intéressant aux estampes dès cette époque, Herta Günther a développé un style distinctement personnel qui s’est nourri de ce qu’elle a vécu, notamment durant des voyages d’études dans plusieurs pays, en particulier la Bulgarie. On peut donc avancer que son œuvre reflète sa biographie.

Bien qu’elle eût connu le succès en participant durant deux décennies aux célèbres expositions organisées en Allemagne de l’Est, ou lorsqu’elle fut invitée à la Biennale de Baden-Baden il y a une quarantaine d’années, elle n’a pas véritablement percé sur la scène internationale de son vivant. Néanmoins, les expositions qui lui ont été consacrées depuis les années 1970 dans l’ancienne RDA, notamment à Dresde, Halle, Chemnitz et Schwerin, attestent qu’elle mérite parfaitement d’accéder à la reconnaissance internationale.

L’œuvre d’Ingrid Hartlieb reflète parfaitement le rejet dont cette artiste née en 1944 a fait l’objet dès ses études à Stuttgart auprès de Rudolf Hoflehner. Si elle sut s’affirmer en tant que sculptrice dans les années 1970, alors que la profession était encore largement dominée par des collègues masculins, c’est probablement par le choix qu’elle fit de travailler de gigantesques blocs de bois, matériau qu’elle fendait, sciait et découpait en plaques qu’elle encollait ensuite. Par-delà ses vertus thérapeutiques, cette approche de la sculpture visait pour elle à obtenir la forme idéale.

Ses sculptures ont quelque chose d’archaïque qui renvoie à leur genèse, leur caractère monumental soulignant quant à lui leur dimension existentielle. À l’aide de clous, de pinces et de tôles, Ingrid Hartlieb donne à ses assemblages de hêtre, de chêne ou de mélèze un aspect souvent organique qui rappelle l’origine du matériau. L’esquisse de l’œuvre sur papier n’est qu’un point de départ et l’artiste, attentive aux particularités du bois, s’en éloigne allègrement en fonction des aléas de la réalisation.

Le titre des sculptures — Blickfänger, Stammbaum, Zwangsjacke, etc. — reflète généralement l’honnêteté et l’intensité avec lesquelles l’artiste aborde son travail. Devant ses œuvres, nous ressentons la puissance des blocs de bois de plusieurs tonnes sous l’effet de l’énergie mentale qui s’en dégage et nous en venons à réfléchir à nos propres sensations et notre propre vécu. Cet échange salutaire est quelque peu troublé par le fait que, malgré le succès qu’elle a rencontré par le passé, Ingrid Hartlieb estime ne plus être véritablement reconnue à l’heure actuelle.

Le peintre Dirk Hupe, né en 1960, est mort prématurément en 2021. Son œuvre intégrant des éléments de l’art informel et d’autres de l’art conceptuel interdit toute approche rapide et superficielle et nous entraîne sur un terrain subtilement perfide où des éclats constructifs nous percutent et nous projettent loin des conventions habituelles. À condition toutefois que nous prenions le temps de véritablement l’apprécier.

Après avoir étudié les lettres allemandes et la philosophie à Düsseldorf, Dirk Hupe poursuivit sa formation à l’université de Duisburg-Essen où il obtint un diplôme de designer. Son intérêt pour l’alphabet resta toujours au centre de sa production. Méfiant néanmoins quant à la capacité des lettres à véhiculer l’information, il eut recours à diverses techniques allant de la peinture à la conception assistée par ordinateur afin de développer de nouveaux signes graphiques générant nombre de ruptures.

Dirk Hupe, qui étudia notamment auprès de Lászlo Lakner et enseigna lui-même en divers endroits (Dortmund, Essen, Mülheim an der Ruhr, Witten/Herdecke), nous a laissé des tableaux, des objets et des installations qui tendent vers la déconstruction sans toutefois en faire un but en soi. Bien au contraire, ces œuvres qu’il qualifiait parfois de « signes résiduels » et de « restes de signes » ont contribué à faire accepter par le public les traces de son parcours analytique et à ainsi faire de lui un maître de ces fragments qui nous font sans cesse nous remettre en question.

Dieter Jung, né en 1941 et vivant aujourd’hui à Berlin, est un des pionniers de l’holographie, forme artistique qui devait s’épanouir avec la généralisation des ordinateurs. Ayant étudié non seulement la peinture et les arts graphiques mais aussi la théologie et le cinéma, il a commencé dès le milieu des années 1960 à intégrer à ses œuvres la lumière et le mouvement.

Il a ensuite professionnalisé son approche grâce à un cursus à la School of Holography de New York. L’usage du laser, avec lequel il s’est alors familiarisé, lui a donné la possibilité de réaliser de premiers hologrammes, notamment un cube d’acrylique incluant un poème de Hans Magnus Enzensberger. Otto Piene, artiste du groupe Zero proche de Dieter Jung, a loué la virtuosité de son ami en ces termes : « C’est un magicien de la lumière, un magicien holographique, un magicien de la paix ». Depuis lors, les œuvres technico-artistiques du « magicien » n’ont de cesse d’échapper aux grilles de lecture habituelles pour mieux nous inviter à en percevoir le sens profond par-delà leur beauté et leur poésie.

Artiste cosmopolite et ouvert sur le monde, Dieter Jung accepte la réalité du présent qu’il considère comme la source d’un étonnement perpétuel. Les crises et les guerres qui ébranlent le monde sont des zones d’ombre qui le préoccupent naturellement et qui, par leur caractère injuste et confus, constituent des défis que son talent cherche à relever. Dissiper le voile qui altère notre perception, contribuer à la transparence de l’espace pluridimensionnel : tels sont les objectifs auxquels l’artiste s’affaire sans relâche dans ses œuvres.

Une femme nue en extérieur avec un arc et des flèches ; des personnages poussant une tondeuse à gazon dévastatrice : ces sujets d’apparence somme toute banale peuvent receler des secrets lorsqu’on s’y arrête un instant, contenir l’un des nombreux messages que Norbert Kiby affectionne de nous transmettre. Né en 1953, cet artiste a étudié la peinture à Karlsruhe dans les années 1970 et y a appris à ne pas se laisser intimider par l’art figuratif.

Au même titre que le Petit chaperon rouge, l’archère et la tondeuse à gazon mentionnées ci-dessus sont des sujets picturaux dotés d’une identité qui leur est propre. Norbert Kiby, qui a reçu en 1998 du Prix Lucas-Cranach décerné par la ville de Kronach, n’hésite pas à traiter de tels sujets, s’aventurant ainsi de manière courageuse sur un terrain que la plupart de ses collègues évitent soigneusement, de peur d’y trébucher.

Très polémiques sont en effet les sujets qu’il aborde dans ses tableaux où apparaissent des personnages figurés à grands traits dans des couleurs saturées. Mais peu lui importe qu’on critique le pathétisme et le côté kitsch de ses tableaux. Ce qui compte pour lui, c’est de créer des œuvres qui brillent par leur intensité et qu’on a clairement plaisir à regarder. Avec ses artifices picturaux, il nous offre des images belles et enjouées qui sont tout simplement une source de satisfaction esthétique.

Né à Budapest en 1962 et affilié à l’École de Leipzig, Georg Kleefass aborde des sujets historiques, religieux et littéraires qu’il traite de manière réaliste. Après des études auprès d’Arno Rink entre 1996 et 2002, il a acquis une certaine notoriété grâce à ses portraits, paysages et natures mortes dans des couleurs primaires et complémentaires, mais n’a pas encore véritablement réussi à percer sur la scène internationale.

Ce qui est probablement dû au fait que le marché de l’art n’est pas encore disposé à accepter les œuvres qui se veulent non commerciales, ainsi qu’à la volonté audacieuse de Kleefass de supprimer radicalement les contrastes quels qu’ils soient. La beauté et la violence, le jeu et le sérieux se côtoyant fréquemment dans ses tableaux, il indique à ce propos : « La question de savoir comment je peux rendre à l’extrême le contraste entre deux ou plusieurs éléments touche à un aspect fondamental de mon approche artistique et esthétique, de sorte que la poser est pour moi incompatible avec la question de la susceptibilité morale ».

L’extrême précision artisanale des détails qui agrémentent ses œuvres est le résultat des d’études d’orfèvrerie qu’il a effectuées à l’École supérieure du design de Schwäbisch Gmünd dans les années 1980. À l’instar de nombreux autres orfèvres et bijoutiers, il a lui aussi éprouvé le besoin de réaliser des œuvres plus ambitieuses tant en matière de taille que de contenu. La peinture s’imposait dès lors comme le média le plus adéquat pour exprimer des sujets complexes au moyen d’un style figuratif des plus élémentaires.

Ce vocabulaire pictural est familier : des cercles, des carrés et des rectangles empilés, décalés ou se recouvrant, parfois interrompus ou dynamisés dans l’espace par des nuances de couleurs qui génèrent un rythme ou une promesse de mobilité ; l’ordre des séries, toujours dans l’ombre de ce qui pourrait advenir si les carrés de couleur se mettaient à danser et, de temps à autre, à s’élever ou à glisser de côté, comme pour échapper à l’espace pictural ; la menace du désordre dans un agencement structuré ; un phénomène, constructiviste.

Frieder Kühner, né en 1951, s’adonne à l’art concret depuis les années 1970. Ayant étudié notamment auprès de Paul Uwe Dreyer, il fut au nombre des fondateurs du groupe Konstruktive Tendenzen, a surtout exposé dans le Bade-Wurtemberg et souligne aujourd’hui l’impact sur son style de son passage dans l’atelier d’Anton Stankowski. Rien d’étonnant dès lors à ce que, loin d’être un simple « remplisseur de formes », il ait l’audace de travailler selon une approche qui suit résolument des voies constructives.

Kühner procède à des métamorphoses souvent basées sur des lois mathématiques. Ce qui est somme toute logique puisqu’il trouve dans les sciences le nectar de sa créativité artistique. Et même lorsque des effets Op Art y apparaissent occasionnellement, ses œuvres restent difficiles à classifier. On sent bien que l’artiste ne cherche pas à nous impressionner et que ses tableaux véhiculent une notion souvent négligée et devenue rare dans la peinture : la véracité.

Toile de la Passion, Quarantaine, Faune, Tout feu tout flamme : ces titres de tableaux, dessins ou céramiques de Susanne Mansen indiquent clairement que cette artiste née à Flensburg en 1959 est une conteuse. Ses récits en images faisant intervenir des animaux et des plantes soigneusement conçus même s’ils semblent avoir été esquissés rapidement reflètent les hauts et les bas de l’existence humaine. Évoluant toujours dans un équilibre précaire entre la beauté et le danger, ces œuvres sont un baume pour les yeux dans un univers d’exclusion. Elles ne sont aucunement des illustrations superficielles, même si elles cherchent clairement à nous conter une histoire.

Durant ses études à Munich entre 1978 et 1884, Susanne Mansen a été promue « élève-maître » par Hans Baschang, artiste né à Karlsruhe en 1937 qui comptait parmi les meilleurs dessinateurs de son époque et a été qualifié de « magicien de la ligne » dans l’hommage funèbre que lui a rendu le Süddeutsche Zeitung en 2017.

La composition énergique des œuvres de Mansen met en valeur la finesse de la narration. La somme des éléments de chaque dessin génère un dynamisme qui nous transporte dans un monde tantôt personnel, tantôt mythologique et nous invite à espérer que tout revienne dans l’ordre dans les temps troublés que nous traversons.

Les chiffres et les signes occupent une place centrale dans l’œuvre de Rune Mields, artiste née en 1935 et vivant aujourd’hui à Cologne. Sur une base mathématique, elle peint depuis des décennies des œuvres qui rappellent le Constructivisme sans toutefois s’y apparenter véritablement. S’intéressant à diverses sciences, Rune Mields filtre avec soin les symboles et leurs contextes afin de les réunir dans des images qui génèrent de nouveaux univers.

Cette artiste qui a reçu un premier prix il y a une cinquantaine d’années et de nombreux autres par la suite, notamment les Prix Harry-Graf-Kessler et Gabriele-Münter, mérite d’être redécouverte. De même que le caméléon change toujours de couleur, elle aborde sans cesse de nouveaux sujets et relève inlassablement de nouveaux défis. Sa production très diversifiée, qui inclut aussi bien des analyses de partitions que l’illustration de mythes de la Création, nous invite constamment à remettre nos sens en question.

Certains de ses tableaux, notamment les Déesses noires, attirent notre attention sur un aspect particulier des beaux-arts à notre époque : la traçabilité des œuvres. Rune Mields n’en est par pour autant une ethnologue, comme d’aucuns ont pu l’avancer. C’est simplement qu’elle est une des rares artistes de notre époque à promouvoir une approche de l’art inconditionnelle et poursuivant un unique objectif : une ouverture d’esprit optimale.

A-t-on le droit d’éprouver du plaisir en regardant un tableau ? Un artiste contemporain peut-il peindre la beauté sans éveiller la suspicion ? Gerhard Neumaier, qui est né à Freiburg-in-Breisgau en 1950 et a étudié à Stuttgart entre 1976 et 1982 auprès d’Alfred Hrdlicka, répond clairement par l’affirmative à ces questions. Estimant même que c’est nécessaire, il parle de la « beauté de l’évolution » et ambitionne, par son travail, de « continuer à développer l’œuvre vivante de la nature ».

Ses tableaux aux titres délicieusement poétiques nous ouvrent un univers botanique empli de feuilles et de fleurs qui débordent d’énergie et nous réservent parfois de somptueuses surprises, tandis que leur caractère disruptif nous propulse rapidement dans d’autres sphères — Magie de la création picturale.

Jusqu’à présent, les critiques ont surtout vu en lui un peintre de la « figuration informelle ». La formulation semble contradictoire et, de fait, elle est imprécise et déconcertante si l’on considère l’histoire de l’art. Elle résulte toutefois de la volonté de définir le style bien particulier de Neumaier, qui vise à matérialiser les processus évolutifs de la nature en les intégrant dans une représentation figurative. L’artiste maîtrise ainsi avec brio le grand écart entre d’une part un geste libre et spontané, d’autre part une tendance au réalisme.

Il est parfaitement justifié de qualifier Dore O. Nekes, morte en 2022, de cinéaste expérimentale. Néanmoins, bien qu’elle eût joué un rôle important dans le cinéma d’avant-garde, parfois en collaboration avec son mari Werner Nekes, cette artiste née en 1946, qui avait étudié la peinture à Hambourg et Pérouse, manifesta très tôt sa volonté de ne pas se limiter à une seule discipline artistique. C’est ainsi qu’elle fut au nombre des fondateurs, dans les années 1960, de la Hamburger Filmemacher Cooperative (Coopérative des cinéastes de Hambourg) et qu’elle chercha toujours à faire une synthèse salutaire des différents médias — Travail de prise de conscience très émotionnel.

Cette « chercheuse en images » trouva rapidement sa place dans le monde de la culture, comme en témoigne sa participation à la documenta de Kassel en 1972 et 1977, l’exposition étant alors organisée respectivement par Harald Szeemann et Manfred Schneckenburger. Dore O. avait alors réalisé des installations qui associaient des images tantôt fixes, tantôt en mouvement, incluant des tuyaux en plastique et des plaques de plexiglas, sur lesquelles elle projetait des images monumentales. Mais son œuvre, difficile à classifier, inclut aussi des réalisations en petit format, notamment des polaroïds jetant un pont entre peinture et photographie, sur lesquels le danger et la destruction cohabitent avec la guérison et l’intégrité physique.

Les œuvres de Dore O. reflètent ainsi le monde en stagnation tel qu’il était avant le chamboulement initié en 1968. C’est pourquoi il serait bon qu’à l’instar de la Deutsche Kinemathek, qui a récemment restauré les films de l’artiste, on réexamine toute sa production interdisciplinaire.

Franz Oehring, né en 1939, innova dans les années 1960 : alors que ses camarades d’études à Berlin ne peignaient encore que sur des matériaux traditionnels, il commença de peindre sur des plaques d’acrylique et créa des sculptures au néon que certains groupes adoptèrent pour enrichir leurs compositions de musique électronique. Poursuivant dans cette voie, il réalisa des installations lumineuses contrôlées par électronique et le Palais des congrès de Berlin (ICC) lui commanda bientôt une œuvre majeure : une sculpture lumineuse originale et particulièrement impressionnante, d’une dizaine de mètres de haut, servant également de panneau d’information.

Ayant réalisé ces dernières décennies de nombreuses œuvres commandées par des administrations, des organismes semi-publics et des personnes privées, Oehring est désormais reconnu comme un spécialiste de l’art et de l’architecture de la lumière au service de l’Homme. Se considérant par ailleurs comme un designer, il sonde le monde autour de lui et discerne les nouveaux besoins afin de continuer à développer son art en toute liberté et sans trahir son idéal pictural.

Depuis la fin des années 1970, il travaille également avec la lumière du jour, ce qui l’a conduit à revenir vers la peinture, qu’il avait négligée pour un temps. Lui qui semblait préférer l’aluminium à la toile et qui avait volontiers recours aux projections a compris qu’il était possible de renoncer à l’énergie électrique et de revenir à la lumière naturelle, toujours changeante et de plus écologique. Aucun doute, donc : Oehring est dans l’air du temps.

Karin Radoy, née en 1957 et formée à Offenbach et Francfort, s’inscrit dans la tradition de la peinture en ce qui concerne les formes et la couleur, l’espace et le temps, la surface et le corps. Par son œuvre centré sur la recherche picturale, elle fait de plus partie de ces peintres allemands qui résistent aux tentations commerciales offertes par le marché de l’art. Lorsqu’on examine soigneusement sa production, on remarque tout de suite qu’elle se positionne dans un créneau particulier et qu’elle est parfaitement digne d’attention, même en comparaison avec celle de ses collègues actifs dans le domaine de l’art concret.

Depuis un quart de siècle, Karin Radoy développe un style bien particulier, loin des tendances toujours changeantes et des modes passagères. Elle crée des œuvres qu’elle qualifie d’« objets doubles », c’est-à-dire incorporant un principe dialectique : le vert ne va pas sans le bleu, quelque chose de grand sans quelque chose de petit, un élément en extension sans un autre en réduction ; A et non pas B ; C uniquement avec D.

Notons pour terminer qu’en dépit de toutes les irrégularités qui ne manquent pas d’y apparaître, les panneaux muraux de l’artiste évoquent la perfection industrielle. Incontestablement remarquables, ils nous offrent la possibilité de réfléchir posément à l’essence même de la peinture et de l’identité, chose bienvenue dans un monde toujours plus frénétique.

« Il ne s’est pas soumis aux conventions du journalisme ni à celles du marché de l’art, ce qui lui a permis de réaliser des photos inoubliables » : telle est l’appréciation portée par le célèbre critique d’art Klaus Honnef sur Michael Ruetz, ancien photoreporter du magazine Stern né à Berlin en 1940. Étudiant en sinologie, japonologie et journalisme, c’est pratiquement par hasard que Honnef est devenu le photographe des événements de 1968, notamment à Prague, où il se trouvait lors de l’invasion de la Tchécoslovaquie par les troupes du Pacte de Varsovie. Ce qui l’a poussé à se professionnaliser en suivant les cours dispensés à Essen par Willy Fleckhaus et Otto Steinert, avant d’enseigner lui-même la communication visuelle à Braunschweig.

Si Honnef suit l’évolution de Ruetz depuis des décennies, c’est assurément parce que, bien que l’artiste n’expose ses œuvres que rarement, il est un des rares photographes qui savent illustrer les événements politiques en posant des questions fondamentales. De fait, Ruetz excelle à réaliser des clichés aux implications philosophiques, de sorte que le temps y prend une dimension particulière qui les extrait de l’actualité au jour le jour.

Qu’elles figurent des foules de manifestants ou des terrains vagues déserts et désolés derrière des clôtures de chantiers, les photos de Michael Ruetz se caractérisent par leur composition stricte et expriment la difficulté qu’il y a à vouloir faire preuve de solidarité dans l’espace public.

Alors que ses premiers tableaux étaient réalisés à la détrempe à l’œuf, Dieter Schosser (1955–2021) privilégia pour ses œuvres tardives des produits quotidiens et des objets trouvés dans la rue : délaissant la toile, matière noble, il commença de peindre avec du marc de café et du liquide vaisselle sur des torchons, des morceaux de carton et des sacs en plastique. Cette évolution progressive vers une sorte d’Arte povera, moins choisie que subie par un artiste à la santé déclinante, reflétait aussi sa prise de conscience du fait que la vérité est dans la simplicité. Ayant grandi à Friedrichshafen et retourné y vivre après des études à Karlsruhe, Schosser considérait que la discipline est indispensable à tout artiste.

Avide de tout ce que la science et les arts pouvaient lui apporter, qu’il s’agisse de la philosophie de Ludwig Wittgenstein ou de la danse butō développée au Japon, il ne se laissait jamais bousculé par le quotidien. À telle enseigne que le critique d’art Michael Hübl a pu écrire à son sujet : « Il vit sans se soucier de la casse ». Schosser était véritablement un homme libre, qui rejetait les prétextes et ne cherchait nullement à s’excuser. Uniquement attiré par l’art en général, il éprouvait le besoin, du matin au soir, de s’adonner à tout ce qui l’intéressait et d’en filtrer ce qu’il considérait comme artistiquement valable. L’art, omniprésent dans sa vie, était pour lui une sorte d’apparition, comme cela a été souligné dans un hommage funèbre.

Lorsqu’il peignait encore sur toile à la détrempe à l’œuf, il se focalisait sur des formes géométriques simples telles que le cercle, le carré et le triangle. Resté toujours fidèle aux couleurs saturées, il les utilisa pour créer un œuvre diversifié faisant appel à un grand nombre de styles. Le plus important pour lui était d’envoyer des signaux, condition sine qua none pour ne pas être ignoré.

Né à Munich en 1937 et vivant aujourd’hui à Bad Neuheim, Veit von Seckensorff a étudié à l’Académie des beaux-arts de sa ville natale et a été promu « élève-maître » par Ernst Geitlinger. Les études de géomètre qu’il avait faites auparavant ont indiscutablement joué un rôle dans sa prédilection pour le style constructiviste, qu’il maîtrise à la perfection dans des œuvres sur lesquelles les objets représentés semblent vouloir jaillir de l’espace pictural. Ses formes géométriques trouvent ainsi un prolongement dans l’esprit en dynamisant leur environnement direct.

Elles nous propulsent de manière inopinée dans l’« école de la vue » qu’il évoque souvent. La profusion de formes et de couleurs dans ses tableaux, de même que leur agencement savamment rythmé, reflètent clairement l’influence du dadaïste Hans Arp, mort en 1966. On retrouve ainsi dans les œuvres de Veit von Seckendorff l’humour et les sous-entendus qui constituaient la marque distinctive du mouvement Dada, fondé il y a maintenant plus d’une centaine d’années.

Quant à la caricature Na so was, une aquarelle rehaussée à l’encre de Chine, elle démontre parfaitement que von Seckendorff ne craint pas d’aborder des sujets épineux. Alors que les peintres et sculpteurs de l’Art concret, du fait de leur approche généralement puritaine, évitent de montrer les choses telles qu’elles sont, il voit dans le sujet qu’il traite sur cette aquarelle une occasion d’élargir son univers pictural. Il en va de même de divers dessins et tableaux à l’acrylique tels que Blick-Kontakte (2011) et Ansichtssache (2012).

Des lignes fines s’accumulent et forment une membrane rappelant un séismogramme. À l’huile ou à la détrempe à l’œuf, appliquées parfois à la main sur la toile, ces lignes génèrent des paysages de couleur et des structures en relief reflétant rien de moins qu’un état d’esprit. Ce sont des illustrations authentiques d’un instant précis, émanations d’une réflexion sur les hauts et les bas de l’existence, à mi-chemin entre l’enracinement et le besoin de se lever, de s’élever, de se fondre dans le firmament.

Regina Sell est née en 1958, a étudié à l’Académie de Stuttgart auprès de Rudolf Schoofs et vit aujourd’hui à Berlin. L’historienne de l’art Gabriele Uelsberg a pu décrire son œuvre comme « de la peinture dessinée » et « du dessin peint ». Mais pour l’artiste, l’important n’est pas d’utiliser tel ou tel média ni de prendre du plaisir à naviguer entre eux, mais bien d’exprimer ce qui tient à sa personnalité et de nous inviter à y participer car, comme Uelsberg l’a formulé, « le processus de formation de l’image n’est jamais terminé ».

À propos de personnalité : Regina Sell a une nette prédilection pour le noir, le marron et d’autres teintes terreuses. Ses œuvres peuvent occasionnellement inclure un ocre lumineux ou un jaune criard, mais la palette est généralement dominée par des tons sobres, l’artiste entendant ainsi créer des espaces naturels, des lieux de retraite pour prendre un nouveau départ.

Bien qu’il eût terminé en 2013 ses études à la Hochschule für bildende Künste de Hambourg, où il avait suivi les cours de Werner Büttner et Jutta Koether, et bien qu’il eût bénéficié de bonnes perspectives pour débuter sa carrière et rencontré ainsi de premiers succès, Daniel Thurau, né en 1974, s’est rapidement éclipsé de la scène culturelle suprarégionale. Néanmoins, ses amis et divers collectionneurs ont continué à suivre son évolution avec intérêt. Cela d’autant plus qu’il était venu à la peinture après des études de droit.

Son œuvre, continuellement enrichie, inclut des dessins et surtout des tableaux figuratifs. Il peut être rapproché de l’Expressionnisme tel que les Nouveaux Sauvages l’ont repris dans les années 1980. Mais Thurau a su développer un style personnel, à mi-chemin entre l’art figuratif profane et ce qu’on pourrait qualifier d’art religieux augmenté : ses compositions peuvent tout autant faire apparaître une auréole que deux personnages avachis près d’une table de cocktail. Tant et si bien que son univers pictural oscille entre la messe et les soirées chic, avec de nombreuses allusions à ce qu’il a vu et vécu personnellement, rendues de manière plausible.

À elle seule, la présence dans son œuvre de sujets très diversifiés mais ayant toujours un dénominateur commun justifierait déjà de le redécouvrir. Une autre raison de s’intéresser à lui est l’atmosphère particulière de ses tableaux : même lorsqu’elle est enjouée grâce à des couleurs vives, elle reflète l’état d’esprit d’un artiste tourmenté mais dont la quête du Paradis nous donne une raison d’espérer en dépit des obstacles.

Né en Catalogne en 1937, Josep Vallribera appartient à la génération d’artistes qui constituèrent l’avant-garde de leur époque. Ce peintre, dessinateur, sculpteur, photographe et performeur est en contact avec l’art depuis son enfance, a fondé une galerie avec son père dans sa jeunesse et poursuit jusqu’à l’heure actuelle sa quête de formes nouvelles avec l’ambition de percer le mystère de l’existence.

Ibiza est son « port d’attache » depuis des décennies puisqu’il y est allé au lycée et y a fréquenté ultérieurement de nombreux artistes, notamment Antonio Saura, Emilio Vedova, Heinz Trökes et le peintre Corneille. Son esprit tourmenté et son goût de l’aventure l’ont toutefois poussé à voyager dans de nombreux pays afin d’y puiser son inspiration, et l’ont conduit à vivre pour un temps en France, en Allemagne, en Autriche et au Danemark.

Son œuvre, difficile à classifier, témoigne de son ouverture à différents styles et reflète l’influence exercée par ces séjours et son expérience de globe-trotter. Et alors que la plupart de ses collègues ont toujours cherché à développer un style distinctement personnel, il continue d’accorder plus d’importance aux sujets qu’il choisit qu’au style dans lequel il les traite. Avec le risque qu’un Vallribera ne soit pas immédiatement identifiable comme tel — Ce qui ne le gêne nullement.